15 Novembre 2012
Argo, écrit par Chris Terrio. Réalisé par Ben Affleck. Avec Ben Affleck, Bryan Cranston, John Goodman, Alan Arkin. USA - 2012. 120mn. Sortie le 07 novembre 2012.
Dès les premières minutes du film, une évidence s'impose : Ben Affleck est un immense réalisateur! Rien de moins. Ceux qui ont vu Gone Baby Gone et The Town savent que l'acteur à la carrière un peu bancale (pour un Will Hunting, combien de Daredevil?..) s'est révélé être un metteur en scène incroyable. Après ses deux premiers coups d'essai qui tutoyaient déjà certains des plus grands films du genre (Mystic River, Heat), Argo vient faire taire les doutes des derniers suspicieux au fond de la salle : Affleck est un grand réalisateur, un digne héritier des metteurs en scène des années 70 dont son troisième film se présente en évident parent.
Le 4 novembre 1979, au summum de la révolution iranienne, des militants envahissent l’ambassade américaine de Téhéran, et prennent 52 Américains en otage. Mais au milieu du chaos, six Américains réussissent à s’échapper et à se réfugier au domicile de l’ambassadeur canadien. Sachant qu’ils seront inévitablement découverts et probablement tués, un spécialiste de "l’exfiltration" de la CIA du nom de Tony Mendez monte un plan risqué visant à les faire sortir du pays. Un plan si incroyable qu’il ne pourrait exister qu’au cinéma...
John Ford disait, à travers un des personnages de son chef d'oeuvre L'Homme qui tua Liberty Valance: "Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende". Sauf que là… la réalité va au-delà de tout ce qu'un scénariste se réfrénerait à écrire, se disant que personne ne croira une histoire aussi rocambolesque… Qui aurait pu en effet imaginer quelque chose d'aussi fou, d'aussi barré? C'est bien simple, la CIA!
Ne perdant jamais de vue le postulat hautement improbable mais ô combien comique de son pitch, Ben Affleck organise sa mise en scène en jouant sur les ruptures de ton : dramatique en Iran avec son climat de violence et de tension permanente, Argo se permet une partie hollywoodienne tout bonnement hilarante, emmenée par les prestations excellentes de John Goodman et Alan Arkin. Loin de faire perdre l'intérêt quant au sort des otages et à ce qui se déroule en Iran, cette partie permet au contraire de faire ressortir ce qu'implique ce mensonge incroyable : ce sont des vies qui sont en jeu… et elles sont au main de l'industrie du divertissement.
Une séquence incroyable montre bien ce "paradoxe" et est la parfaite illustration de toute la maîtrise de Ben Affleck pour mélanger deux tonalités différentes et ainsi accentuer l'impact de son film : le montage parallèle entre la lecture du faux scénario "Argo" aux USA et une exécution d'otages en Iran, qui se révèlera être fausse… Deux mensonges au même résultat potentiel : la mort. L'un est comique (lecture du scénario), l'autre est tragique (fausse exécution). L'impact émotionnel n'en est que plus grand.
Moustaches, costumes beiges, clopes au bec et lunettes aux montures atroces : pas de doute, nous sommes dans les années 70. Tout en offrant une reconstitution classieuse et méticuleuse de ce moment de l'Histoire (voir le générique de fin), Ben Affleck semble également habité par toute une génération de cinéastes de cette époque : de Lumet à Pakula, c'est tout un pan du cinéma engagé des années 70 qui revit devant nous. Dans une anthologie de cette période de l'Histoire du Cinéma qui irait des Hommes du Président aux Trois Jours du Condor, Argo ne dépareillerait pas : mise en scène posée, rythme soutenu et surtout un suspense excellemment géré. C'est avec un troisième acte stressant au possible que Ben Affleck se rapproche le plus de ses glorieux aînés : l'enjeu est simple (prendre un avion), dans un lieu clos (un aéroport)... et le tout est palpitant et enlevé grâce à un sens du cadre, du montage et du travail sonore (les dialogues iraniens ne sont pas sous-titrés et c'est juste aussi stressant pour les personnages que pour nous!) parfaits.
Le film est un vrai plaisir pour le spectateur : engagé, trépidant et sincèrement émouvant, Argo est une réussite totale qui ne fait que donner une terrible envie de découvrir le prochain film de Ben Affleck. Réussir à rendre crédible une histoire aussi incroyable est un des paris relevés avec brio par un metteur en scène qui se permet, pour son plan final, de nous rappeler que cette folle aventure aurait dû rester à l'état de fantasme dans une chambre d'enfant : pourtant, entre les figurines de Star Wars et de Star Trek, c'est bien une fiction qui a permis de sauver des vies.
Crédits photos : Warner Bros.